hands to myself (jack)

Elle courait aussi vite qu’elle le pouvait. Sans prêter attention à la mer qui défilait à sa gauche, ni aux voitures qui se succédaient à sa droite. Elle courait depuis quarante minutes. Un filet de sueur coulait le long de sa tempe pour finalement s’envoler, emporté par le vent et la vitesse. Maven était du genre à se donner à fond dans tout ce qu’elle entreprenait. Au jardin d’enfants, elle mettait un point d’honneur à bâtir le pâté de sable le plus haut. À l’université, elle écrasait sans pitié ses adversaires de son club de débat. Et désormais, elle dépassait tous les autres joggeurs de Carmel. Elle donna un nouveau coup de collier et revint au point de départ de son parcours avec deux minutes de moins que les jours précédents ; la semaine finissait bien. Après quelques étirements, elle s’autorisa un moment de détente sous une douche fraîche. Les cartons jonchaient encore le sol de son nouvel appartement. Bien entendu, sa sœur lui avait proposé de l’héberger quelques temps, mais elle tenait à son indépendance -et surtout à son intimité. Après dix-huit ans dans la maison familiale et huit ans d’études passés en colocation dans une chambre universitaire, elle jouissait enfin d’un espace à elle et à elle seule, aussi petit soit-il. Au moins avait-elle un lit et un canapé (un luxe d’après certains).
Tandis qu’elle essorait ses cheveux, elle songea qu’il fallait sûrement qu’elle se presse un peu. Elle avait donné rendez-vous à Jack une heure plus tard et elle ne comptait pas être en retard. Lorsqu’elle l’avait revu, quelques jours après être revenue à Carmel, elle ne l’avait pas reconnu immédiatement. Elle avait posé sur lui un regard appréciateur et avait hésité à l’aborder, mais il ne lui en avait pas laissé le temps et était venu vers elle en l’appelant par son prénom. Elle avait eu besoin de trois bonnes minutes avant de le remettre dans ses souvenirs, puis elle avait passé trois autres minutes à se demander pourquoi elle ne lui avait pas donné sa chance des années plus tôt. Ils s’étaient revus quelques fois, et il était indéniable que quelque chose se passait, toutefois Maven sentait qu’il restait distant et sur ses gardes.
Aujourd’hui, elle comptait bien découvrir pourquoi.
Elle s’habilla rapidement d’un jean et d’un tee-shirt en lin, souligna ses cils d’un coup de mascara et sauta sur son vélo. Elle arriva au café avec dix minutes d’avance. Elle choisit une table près de la fenêtre et se plongea dans la lecture de la carte. Cependant, ses yeux parcourait les lignes sans vraiment les lire. Elle mettait en scène dans sa tête les divers scénarios qui étaient susceptibles de se produire lorsque Jack arriverait. Elle était si préoccupée qu’elle faillit ne pas le voir entrer dans l’établissement. Elle lui fit signe de la main et se leva à demi pour le saluer « Bonjour ! Tu es en avance aussi ! » Elle rit. Tant mieux, s’il y avait bien une chose qu’elle n’aimait pas, c’était attendre.